mardi 25 avril 2017

HOMMAGE AU POLICIER ASSASSINE

Nous ne pouvons que nous associer à l'hommage rendu à Xavier Jugelé, policier victime  du terrorisme, jeudi 20 avril sur l'avenue des Champs-Elysées, ainsi qu'à ses collègues blessés.

Nous reproduisons ici l'intégralité du très beau discours de son compagnon pacsé :

« Xavier, jeudi matin, comme de coutume, je suis parti travailler et tu dormais encore. Nous avons échangé au fil de la journée sur notre projet de vacances, dans un pays si lointain que tu m’avais dit être très impatient car tu n’avais jamais été aussi loin. Des détails de visas, nos préoccupations d’hébergement envahissaient nos messages d’une frénésie d’autant plus joyeuse que nos billets d’avion étaient réservés depuis mardi.
Tu as pris ton service à 14 heures, dans cette tenue de maintien de l’ordre dont tu prenais tant soin parce que ta présentation devait être irréprochable. Tes camarades et toi aviez reçu la mission de rejoindre le commissariat du 8e arrondissement où vous deviez, comme si souvent, assurer la sécurité du public sur cette belle avenue des Champs-Elysées. On t’a désigné comme point de stationnement le 102, avenue des Champs-Elysées, devant l’Institut culturel de Turquie. Ce type de mission, je le sais, te plaisait, parce que c’étaient les Champs et l’image de la France, parce que c’était aussi la culture que vous protégiez.
A cet instant, à cet endroit, le pire est arrivé, pour toi et tes camarades. Un de ces événements que chacun redoute et dont tous espèrent qu’il n’arrivera jamais. Tu as été emporté sur le coup et j’en remercie ta bonne étoile. Tes camarades ont été blessés, l’un d’eux gravement. Ils se remettent progressivement et nous en sommes soulagés. Tous ont été choqués.
Je suis rentré le soir, sans toi, avec une douleur extrême et profonde qui s’apaisera peut-être un jour, je l’ignore. Cette douleur m’a donné le sentiment d’être plus proche que jamais de tes camarades qui souffrent comme toi, silencieusement, comme moi, silencieusement. Et, pour ce qui me concerne, je souffre sans haine. J’emprunte cette formule à Antoine Leiris [dont l’épouse, Hélène Muyal-Leiris, avait été tuée au Bataclan le 13 novembre 2015] dont l’immense sagesse face à la douleur a tant fait mon admiration que j’avais lu et relu ses lignes il y a quelques mois. C’est une leçon de vie qui m’avait fait tant grandir qu’elle me protège aujourd’hui.
Lorsque sont parus les premiers messages informant les Parisiens qu’un événement grave était en cours sur les Champs-Elysées et qu’un policier avait perdu la vie, une petite voix m’a dit que c’était toi, et elle m’a rappelé cette formule généreuse et guérisseuse : “Vous n’aurez pas ma haine.” Cette haine, Xavier, je ne l’ai pas parce qu’elle ne te ressemble pas, parce qu’elle ne correspond en rien à ce qui faisait battre ton cœur, ni à ce qui avait fait de toi un gendarme, puis un gardien de la paix. Parce que l’intérêt général, le service des autres et la protection de tous faisaient partie de ton éducation et de tes convictions, et que la tolérance, le dialogue et la tempérance étaient tes meilleures armes. Parce que derrière le policier, il y avait l’homme et qu’on ne devient policier ou gendarme que par choix. Le choix d’aider les autres, de protéger la société, et de lutter contre les injustices. Cette mission noble, que la police et la gendarmerie assurent, et qui sont régulièrement mises à mal.
Moi, en tant que citoyen, avant même de te connaître, je l’admirais déjà. Cette profession de policier est la seule à laquelle la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen fasse allusion. Dans son article 12, elle édicte cette évidence : “La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique”, avec une précision utile en cette période politiquement importante : “Cette force est instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.” C’était la vision que nous partagions de cette profession, mais une facette seulement de l’homme que tu étais.
L’autre facette de l’homme était un monde de culture et de joie, où le cinéma et la musique prenaient une immense part. Cinq séances de cinéma dans une magnifique journée ensoleillée d’août ne te faisaient pas peur. Et bien entendu, les versions originales étaient privilégiées pour le puriste que tu étais et pour cette langue, l’anglais, que tu voulais parler à la perfection. Tu enchaînais les concerts, suivant parfois les artistes sur une tournée complète. Céline Dion était ton étoile, Zazie, Madonna ou Britney Spears et tant d’autres faisaient vibrer nos fenêtres. Le théâtre te transportait et tu le vivais pleinement. Aucune expérience culturelle ne te faisait reculer. Le pire des films était vu le jour de sa sortie, jusqu’au bout, quelle que soit sa qualité. Une vie de joie et d’immenses sourires où l’amour et la tolérance régnaient en maîtres incontestés. Cette vie de star, tu la quittes comme une star.
Je voudrais dire à tous tes camarades combien je suis proche d’eux. Je voudrais dire à ta hiérarchie policière combien j’ai vu la sincérité dans ses yeux et l’humanité dans ses gestes. Je voudrais dire à tous ceux qui luttent pour éviter que cela se produise, que ces événements se produisent, que je connais leur culpabilité et leur sentiment d’échec, et qu’ils doivent continuer à lutter pour la paix. Je voudrais dire à tous ceux qui nous ont témoigné leur affection, à ses parents et à moi, que nous y avons été profondément sensibles. Je voudrais dire à ta famille que nous sommes unis. Et à tous les plus proches qui ont été si soucieux de moi, qui ont été si soucieux de nous, qu’ils sont magnifiquement dignes de toi.
A toi, je voudrais te dire que tu vas rester dans mon cœur pour toujours. Je t’aime. Restons tous dignes et veillons à la paix. Et gardons la paix. »


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